Poèmes

Jour de foire

Il tombe une pluie fine
Du foirail au chemin,
Une méchante soif...
Qui va payer le vin ?

Au fin fond d'une auberge
On demande un canon,
La saucisse à la perche...
Le pain de la maison.

Les gouttières toujours crachent :
On ne peut plus sortir.
Et ce pied qui me fait mal...
Nous resterons ici.

Bouteille sur bouteille
Pour finir notre argent.
Le vin pur réveille,
Mais tu n'es pas content...

Demain, fini la foire,
Du travail il y en aura.
Jusqu'à l'heure dernière :
Cent peines, une joie.

Il tombe une pluie fine
Du foirail au chemin.
Si tu paies ton repas,
Je te paierai le vin...

La Talvera *

C'est sur la lisière qu'est la liberté,
La mort qui t'attend garde la vérité.
Tu suis la bordure, le creux du fossé,
Graine la misère quand fleurit le blé.
C'est sur la lisière qu'est la liberté.

Pour passer le col, ne te retourne pas :
Vent d'autan ou bise, l'air te giflera,
Une pierre glisse, le gouffre est en bas.
Où le serpent niche, la glace fondra.
Pour passer le col, ne te retourne pas.

Étoiles sans lune, on en voit la fin.
On n'en perd pas une, on suit le chemin.
Le ciel tombe en miettes, du soir au matin,
La bête sauvage pue comme les chiens...
Étoiles sans lune, on en voit la fin.

Frère contre frère, on sort les couteaux :
Enfant de ta mère, que vaut donc ta peau ?
Un peu de fiel, c'est ce que la mienne vaut.
Quel oiseau rapace nous crèvera les yeux ?
Frère contre frère, on sort les couteaux ?

C'est sur la lisière qu'est la liberté.
D'orée en orée va la vérité.
La vie est à vivre, de combe en vallée :
La misère bout quand graine le blé.
C'est sur la lisière qu'est la liberté.

Saint-Laurent-d'Ol, été 1968

La Vie

Je renie celui qui m'oublie.
Chaque jour passe la vie.
L'écheveau tourne sur la fin
À la fourche du chemin
Là où la croix a fleuri.

Je ne suivrai plus la putain.
Il me reste peu de temps.
Dans les rues de place en place,
La chair vive par lambeaux,
Un peuple crie, là, dehors.

Je me débats en me noyant,
Pourquoi cracher des jurons.
Os et peau sont dans le ruisseau
Quand l'oiseau frappe avec son bec :
Je ne connais pas qui je prie.

Clermont-Ferrand, été 1970.

Le Dernier Jeu

Que nous reste-t-il à perdre,
Acculés contre le roc ?
S'il ne reste rien à perdre,
On jouera le dernier jeu

Dernier sang pour chaque veine,
Chaque vie sa propre mort,
À chaque douleur sa peine,
Le faible contre le fort...

Toutes les armes sont bonnes,
La tête comme le cul.
Si les âmes restent vives,
On ne sera pas en deuil.

Nous n'avons plus rien à perdre.
À combien crions-nous : « Òc » ?
S'il ne reste rien à perdre,
On jouera le dernier jeu.

L'Arbatach, Algérie, printemps 1970.

Traductions françaises par Roland Pécout

* La talvera désigne l'espace non-cultivé situé aux deux extrémités d'un champ, sur lequel tourne la charrue à chaque sillon (fr. : chaintre, tournière). C'est aussi la métaphore poétique de tout un chemin de vie et d'écriture...

Romans

La Chimère (Chapitre 1 - En Barbarie)

Je me demande ce que je suis. Personne ne me prend plus pour un homme. La nuit il me faut entasser de paille entre l'âne et la vache pour dormir.

Je ne comprendrai jamais bien les gens qui me parlent. Sauf quand on me donne des ordres pour travailler. Et je devine le sens des insultes.

Pas besoin de prison pour moi. Quand je sors dans la rue, les enfants me pourchassent à coups de pierres. Ils s'approchent de moi le plus près possible afin de me cracher dessus. [...]

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Le Livre des Grands Jours (Chapitre 1 - Clermont)

Pourquoi suis-je descendu à Clermont ? C'est à Paris que je voulais aller. Mais j'en avais assez de me tenir debout dans le train. Depuis Béziers contre la vitre. J'étais éreinté. Et il allait être minuit.

Clermont-Ferrand, Clermont d'Auvergne. Là ou ailleurs. C'était de toute manière assez loin de chez moi. Personne ne me chercherait ici.

Donc je sortis de la gare. Ni bagages ni linge. Rien que moi et quelque argent. [...]

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Le Livre de Catoïe (Chapitre 1 - Catoïe)

Oui je suis Catoïe. Catoïe l'Enfariné.

Jamais je n'ai été comme les autres. Parce que je suis Catoïe. Et aussi parce que je suis Enfariné.

À Saint-Geniez personne ne sait que je suis Catoïe. Personne ne sait que je suis Enfariné. Mais moi je le sais. Moi, Amans, Baptiste, Blaise Codomier.

À Saint-Geniez on m'appelle Codomier. Plus souvent Amans. Et j'ai plaisir à être Amans : saint Amans, premier évêque de Rodez... [...]

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Les Cailloux du Chemin (Chapitre 1 - Waldenburg)

J'ai peur ! Derrière la roue de fer d'un wagon je me suis aplati. Une rumeur s'approche sur l'autobanh. On dirait les eaux d'une grande mer. Parfois un claquement, une détonation. Les bâtiments de la gare ne sont plus que ruines fumantes. J'ai peur.

Les Allemands sont partis depuis longtemps. Ils nous ont laissés là, en pleine gare, au milieu des wagons éventrés. Et nous sommes restés là, tout allongés, sans oser remuer.

Slava !... Slava !... Les Russes prisonniers crient de l'autre côté : Slava !... Slava !... Je me lève... Tout le monde se lève... Dans un galop nous grimpons là-haut, droit au chemin. [...]

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