Ségala, pays occitan...

Le Ségala est un vaste plateau qui s'étend au sud-ouest du Rouergue, entre les vallées du Viaur et de l'Aveyron. Il oscille entre 200 et 800 mètres d'altitude sur la dorsale qui relie Rieupeyroux à Baraqueville. Ses paysages accidentés, ses hautes plaines entaillées d'innombrables cours d'eau lui ont valu le nom de pays des cent vallées. Ce relief en creux est l'une des particularités majeures de ce territoire. La distance parcourue pour aller d'un endroit à un autre se révèle toujours plus longue que ce que l'on croyait. Dans Le livre de Catoïe, Jean Boudou établit un semblable constat :

Qui devinerait les rivières qu'il faut traverser pour aller d'un village à l'autre et les combes entre chaque mas ? Des ravins de près de quatre cent mètres, des fondrières, des gorges et des rivières... Montagnes basses, hautes plaines : Ségala terre trompeuse, pays à l'envers...

Bien qu'il y compose un paysage plus émotionnel que réaliste, le Ségala est au coeur de l'oeuvre de Jean Boudou. Le Viaur, au plus profond des combes obscures comme dans les pages de ses livres, bruit de tous les imaginaires possibles, et Boudou fut à l'écoute de chacun : gouffres menant au monde souterrain du Drac, bestiaire païen d'avant la christianisation, mystérieux Papes du Viaur réfugiés au château de Tourenne...

Le Ségala fut longtemps une terre pauvre, dont les sols siliceux et acides ne portaient pas de froment. Landes de bruyères, hêtraies ou châtaigneraies recouvraient des plaines aujourd'hui travaillées ou pâturage pour l'élevage bovin. L'habitat et les cultures étaient concentrés dans les vallées - aussi désignées du nom générique de rivièira en occitan - où les sols plus riches en terre alluvionnaire permettaient de cultiver le seigle : c'est d'ailleurs cette céréale, lo segal en langue d'Oc, qui a donné son nom au pays. Châtaignes, puis pommes de terre constituaient l'essentiel des cultures vivrières. A maintes reprises cette nourriture noire tint les Ségalis saufs de la disette.

L'arrivée de la chaux sur le plateau vers la fin du XIXe siècle annonce le début de la révolution agricole. Elle permet aux propriétaires aisés qui la convoyaient à charretée depuis l'Albigeois, d'amender leurs terres et de produire des cultures plus exigeantes comme le froment, le maïs, ou le trèfle. Avec la construction du viaduc du Viaur et l'ouverture de la ligne de chemin de fer Rodez-Carmaux en 1902, la révolution des transports vient redoubler celle de l'agriculture. C'est désormais par wagons entiers que la chaux parvient sur le Ségala. L'homo segalensis abandonne les travers escarpés et part à la conquête des plaines. Elles sont progressivement défrichées et mises en valeur, alors que les vallées profondes s'ensauvagent et retournent à la forêt. Les personnages de la nouvelle Le pain de froment, acteurs de ce changement décisif du paysage et des modes de vie, n'en reviennent pas :

Quelque chose a changé ici : la terre du Ségala n'est plus terre de famine !

Plus d'un millénaire de présence continue de la langue d'Oc a laissé sur le Ségala une empreinte définitive. Structure élémentaire du paysage, le relief est désignés par des termes occitans qui en précisent la nature et les changements. On parle par exemple de puech, de serre ou de suc pour les hauteurs faisant saillie, tandis que la combe, l'igue ou le vabre disent au contraire ce qui est en creux. Le couvert végétal et ses dérivés ont donné une multitude de noms de lieux - et de patronymes également : bosc (le bois), ginèst (le genêt), vernha (l'aulne), beç (le bouleau) ou fau (le hêtre) apparaissent souvent sur les pancartes de signalisation ou les livrets de famille. Et la barta (le hallier), l'espinassòla (lieux couverts d'épineux), la romiguièira (la ronceraie) semblent se souvenir d'un Ségala antérieur à la mise en valeur agricole, comme au temps biblique où seules de la Terre en friche croissaient les ronces...

Les toponymes ont cristallisé l'histoire du plateau depuis l'aube du Moyen Âge. La Motte (La Mòta) renvoie à l'incastellamento, la castralisation primitive du Rouergue. Naucelle (la nòva cela, nouvelle église ou cellule monastique) témoigne de la patiente conquête du territoire par les moines défricheurs. La Salvetat-Peyralès ou Sauveterre de Rouergue rappellent l'an Mil et le temps de la Paix de Dieu, où l'espace sacralisé autour de l'église devient sauveté : un asile inviolable offert aux populations fuyant les brutalités féodales. Bastidas (La Bastide l'Evêque) ou Vilas Francas (Villefranche de Rouergue) font référence à un modèle inédit et spécifiquement occitan d'aménagement des villes, ainsi qu'à un essor urbain sans équivalent dans l'Europe du XIIIe siècle.